Les Prolongs font le tour du monde (32/32): Russie, au carrefour de l’histoire

Samedi 21 juin 2008, aux alentours de 23h Andrei Arshavin bat Edwin Van Der Sar d’une frappe en angle fermé sur la pelouse du Saint Jakob Park de Bâle. Le chronomètre indique alors la 116ème minute et l’équipe de Russie vient de définitivement mettre à terre l’un des favoris de la compétition. Que la Sbornaya de Guus Hindink emmène les Oranje en prolongations était déjà un exploit, les voilà qu’ils boutent hors de la compétition l’équipe qui avait martyrisé les deux derniers finalistes de la coupe du monde en phase de poules. Quelques jours plus tard, Arshavin et sa bande ne pourront rien face à la puissance de feu espagnole et s’arrêteront aux portes de la finale pour ce qui demeure aujourd’hui encore le meilleur résultat du pays dans une compétition internationale.

Organisatrice du mondial et donc qualifiée d’office, la Russie vit dans une forme de vertige depuis quelques temps, partagée entre la fierté d’avoir terminé tous les stades à temps et la crainte de subir une humiliation planétaire tant le niveau de jeu de la Sbornaya est inquiétant. Les Russes n’ignorent pas que lors des deux dernières éditions, le pays hôte est ressorti de la compétition avec l’ego en miettes et le moral à zéro et tout le monde en Russie est bien conscient qu’il est plus probable que le destin de son équipe se rapproche de celui de l’Afrique du Sud que de celui du Brésil. Placée dans un groupe à sa portée en compagnie de l’Uruguay, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite qu’elle affronte aujourd’hui en match d’ouverture, l’équipe de Russie aura néanmoins fort à faire pour ne pas provoquer la désillusion de son peuple et l’ire de Vladimir Poutine.

 

A la poursuite du passé

 

Si l’équipe de Russie a vu le jour en 1911 et la fédération de Russie en 1912, c’est la chute de l’URSS qui entraine la véritable genèse de cette sélection. La nouvelle équipe de Russie apparait effectivement après l’Euro 1992 et ne performe pas vraiment depuis sa création. A l’exception de ce bon parcours lors de l’Euro 2008 évoqué en introduction, la Sbornaya est abonnée aux éliminations au premier tour des compétitions internationales, quand elle y participe. L’équipe de Russie est effectivement sortie dès la phase de groupes lors des coupes du monde 1994, 2002 et 2014 ainsi que lors des Euros 1996, 2004, 2012 et 2016. En regard de ces résultats médiocres, les résultats de l’URSS font figure de passé à reconquérir. Avec deux titres olympiques et un titre de champion d’Europe, l’équipe soviétique était effectivement une place forte du football européen d’autant plus que l’équipe d’URSS a toujours atteint les demi-finales des Euros où elle a pris part.

Cette poursuite d’un passé grandiose fait me semble-t-il écho à la situation même de la Russie. Héritière de l’empire soviétique, la Russie actuelle fait tout pour retrouver sa grandeur passée et toute la politique étrangère de Vladimir Poutine est tournée en ce sens. Si le football soviétique était bien plus reconnu que le football russe ne l’est, il en va de même avec la puissance géopolitique des deux pays. Alors que l’URSS était l’une des deux superpuissances de la Guerre froide, la Russie a longtemps été considéré comme l’un des Etats malades de la planète, un Etat qui a été notamment humilié par la présence d’alcooliques à sa tête et qui a dû aller quémander l’aide du FMI. C’est dans ce cadre qu’il faut aussi voir la quête de puissance de la Sbornaya en cela qu’elle est également un instrument du soft power russe.

 

Le triste symbole

 

Une des principales caractéristiques de la transition entre l’URSS et la Russie a sans conteste été la corruption endémique dont a souffert le pays. Le passage d’une économie dirigée à une économie de marché et donc la privatisation de très nombreuses entreprises étatiques a aiguisé l’appétit des oligarques de tous poils qui ont mis la main sur le potentiel productif du pays au prix de généreux pots de vins à l’égard de l’administration Eltsine. Si ce triste personnage (qui fit tirer sur la Douma le siège du parlement russe) n’est plus là, il serait cavalier d’affirmer que la corruption n’existe plus dans le pays tant les oligarques demeurent puissants et proches du pouvoir – à leurs risques et périls tant la protection dont ils jouissent peut rapidement disparaitre. De la même manière, la mise au pas de l’opposition et les soupçons de fraudes lors d’élections sont monnaie courante en Russie où Poutine règne de manière autoritaire.

Il ne me parait pas exagéré de voir dans ces pratiques – qui sont loin d’être l’apanage de la Russie – le reflet des pratiques de la FIFA en particulier dans l’attribution des coupes du monde. L’organisation d’un tel évènement par la Russie est sans conteste une manière pour ce pays d’asseoir son image et de se normaliser un peu plus sur la scène internationale. Ni la corruption prégnante, ni les lourds soupçons d’autoritarisme qui pèsent sur le régime russe n’ont empêché la FIFA d’attribuer cette coupe du monde à la Russie pas plus que les circonstances de l’attribution de la coupe du monde 2022 au Qatar ne paraissent avoir été faites en toute légalité. En ce sens, l’organisation d’une coupe du monde en Russie n’est finalement que l’aboutissement logique en même temps qu’un triste symbole des pratiques de la FIFA qui agit elle aussi de manière autoritaire et discrétionnaire tout en tolérant, a minima, la corruption en son sein. En organisant cette coupe du monde, Vladimir Poutine espère sans aucun doute marquer un grand coup géopolitique. Plus que leur niveau de jeu, c’est cette attente qui peut être source d’inquiétude pour les joueurs de l’équipe de Russie car, à n’en pas douter, une élimination dès le premier tour mettrait à mal la volonté du dirigeant russe en cela qu’elle s’apparenterait à une cuisante humiliation.

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