Les Prolongs font le tour du monde (31/32): France, l’autre histoire

Dimanche 10 juillet 2016, il est presque 22h50 lorsqu’André Pierre Gignac élimine Pepe d’un subtil crochet dans la surface portugaise sur la pelouse du stade de France. Le tableau d’affichage indique alors toujours 0-0 dans cette finale de l’Euro opposant le Portugal aux Bleus et le chronomètre a dépassé les 90 minutes. Dans ce temps additionnel qui semble durer des heures, c’est tout un peuple ou presque qui voit le trophée lui tendre les bras. Après avoir été submergés par l’enjeu et avoir cru qu’il leur suffirait de se baisser pour ramasser un trophée qui semblait leur être promis depuis leur victoire face à l’Allemagne en demi-finale au Vélodrome, les joueurs et le public français retiennent leur souffle alors que l’attaquant originaire de Martigues arme sa frappe.

Dans cette finale, les observateurs du monde du foot attendaient un duel Griezmann-Ronaldo dans une revanche de la finale de Ligue des Champions qui avaient vu le Real du Portugais terrasser une nouvelle fois l’Atletico du Français mais il était écrit que cette finale ne serait pas l’apanage des stars et qu’elle consacrerait bien plutôt les laborieux. Alors que Moussa Sissoko réalisa ce soir-là sans doute le meilleur match de sa carrière, c’est Gignac qui a eu l’occasion de faire chavirer la France. Lui le moqué, lui dont beaucoup se demandait ce qu’il faisait dans les 23 sélectionnés, lui le vilain petit canard finalement avait l’occasion non seulement de faire basculer sa vie mais également celle des Bleus. Oui mais voilà, sa frappe placée hors de portée de Rui Patricio a tapé l’intérieur du poteau puis roulé devant la ligne comme pour mieux le narguer. La suite, tout le monde la connait. C’est un autre laborieux, Portugais celui-là, qui deviendra la star d’un soir, renvoyant la France et ses Bleus à leurs larmes, seule chose qu’il reste aux pragmatiques quand ils ne réussissent pas.

 

Le tournant du pragmatisme

 

Cette défaite en finale et les larmes qui ont vu le jour sur des millions de visage en ce funeste soir de juillet pour les Bleus sont une meurtrissure sans doute bien plus grande que celle qui se produisit 10 ans plus tôt sur la pelouse du stade olympique de Berlin lorsque Fabio Grosso propulsa son tir au but au fond des filets après l’échec de David Trezeguet. Si la défaite est plus douloureuse en 2016 qu’en 2006 c’est bien sûr en partie parce que celle-ci s’est produite à domicile mais je crois qu’il ne faut pas s’arrêter à cet état de fait. Si la meurtrissure est si profonde c’est parce qu’en 2016 tout a été sacrifié sur l’autel de la victoire. Didier Deschamps est le symbole le plus parfait du tournant opérée par les Bleus dans les années 1980 et qui fait ironiquement écho au virage pris par le PS au pouvoir alors. Avant 1984, les Bleus avaient effectivement l’image de perdants magnifiques, de romantiques manquant de rigueur et finissant par être sempiternellement punis par les pragmatiques. A cet égard la demi-finale de Séville en 1982 fait figure de symbole magnifique.

C’était l’époque où François Mitterrand n’avait pas encore renié ses engagements et menait une politique en faveur des plus démunis. C’était avant que Pierre Mauroy n’annonce un matin de mars 1983 sur le perron de Matignon qu’il était temps de faire une pause dans les réformes sociales et n’annoncent le tournant de la rigueur. Ce qui devait n’être qu’une parenthèse ne fut jamais refermé par le PS et c’est paradoxalement les vestiges de ce football romantique qui offrirent à la France son premier trophée international en 1984 et un match d’anthologie face au Brésil en 1986. Passée cette époque, le pragmatisme devint le sacerdoce de l’Equipe de France tout comme le néolibéralisme fut celui du PS. Sans doute faut-il voir un signe du destin dans le fait que la période la plus faste des Bleus se situe au moment où Lionel Jospin était premier ministre. Pour revenir à la différence entre 2006 et 2016, sans doute que la meurtrissure est plus grande en 2016 parce que tout le monde sait qu’en jouant de la sorte on ne peut retenir que la victoire, qu’un tel parcours ne raconte aucune histoire. A l’inverse, en 2006 l’équipe de France la plus flamboyante de ces dernières années a raconté une histoire, a mis en place une dramaturgie certaine, un romantisme fou en empruntant tout à la fois aux épopées de la Grèce antique et aux héros maudits de la littérature française quand Zidane se vit désigner la sortie.

 

Les débats rances

 

Il y a quelques jours, le football français était endeuillé par la mort de Francis Smerecki. Si l’ancien sélectionneur de jeunes a surtout marqué le club de l’En Avant de Guingamp, il est aussi le seul à s’être opposé frontalement à la volonté de François Blaquart (alors DTN), Laurent Blanc et Erick Mombaerts de mettre en place des quotas discriminatoires à l’égard des jeunes possédant une double nationalité. Ce scandale révélé par Mediapart en 2011 a contribué à faire prendre conscience que le football n’était pas forcément épargné par les débats rances qui parcourent la société. A l’époque, Nicolas Sarkozy était président de la République et un ministère de l’immigration et de l’identité nationale avait été créé. Les débats autour de la binationalité n’ont toujours pas disparu et ce, que ça soit pour les joueurs – le cas Benzema et les déclarations du joueur par rapport à l’Algérie ressorties régulièrement, les polémiques stériles sur le fait de chanter ou pas la Marseillaise en sont de parfait exemples – ou pour les jeunes issues de quartiers populaires que l’on soupçonne d’être de mauvais Français s’ils ne supportent pas les Bleus.

Par-delà la simple question de l’équipe de France en tant que telle, les débats qui parcourent le foot français sont souvent le reflet de débats qui s’enracinent dans le pays. En ce sens, les débats réguliers sur l’absence supposée de culture foot dans le pays sont un merveilleux symbole. Souvent brandi comme l’argument d’une prétendue supériorité, le poncif « la France n’est pas un pays de foot » et son corollaire « la France n’a pas de culture foot » sont assurément les antiennes les mieux partagées parmi ceux qui se croient immaculés en haut de leur Aventin. Ces phrases, souvent prononcées sur un ton péremptoire, disent finalement autre chose que leur message explicite puisque très souvent celui qui exprime cette pensée se place lui-même au-dessus de la masse dans une forme de mépris un peu simplet. Dire que la France ne possède pas la même culture foot que certains de ses voisins n’est pas méprisant en soi mais répéter jusqu’à l’écœurement qu’il n’y a aucune culture foot dans ce pays a quelque chose qui se rapproche de la morgue crasse. Les bastions de supporters présents partout en France et qui soutiennent leurs clubs jusqu’au bout du pays (voire des divisions comme à Lens ou Strasbourg) sont là pour mettre à mal ce discours quelque peu décliniste et morose qui fait écho à ce que l’on entend à longueur de journées parmi les éditorialistes les plus en vue de Paris. Vingt ans après le sacre de 1998, les Bleus auront l’ambition d’ajouter une deuxième étoile à leur blason et tant pis si le dernier match face aux Etats-Unis a généré plus de débats que de certitudes. Placés dans le groupe du Pérou, de l’Australie et du Danemark, les joueurs de l’Equipe de France ont largement les armes pour aller loin dans la compétition bien que les fragilités repérées puissent être rédhibitoires contre les grosses équipes. Il y a quelques jours Emmanuel Macron a rendu visite aux Bleus et leur a dit qu’une belle compétition était une compétition victorieuse. Lui qui passe son temps à faire la cour à Poutine, Trump ou Netanyahu depuis son arrivée à l’Elysée sans pour autant avoir une quelconque influence sur leurs choix rêve sans doute que les Bleus aillent au bout. Pour une fois depuis son arrivée au pouvoir la France serait ainsi entendue à l’international.

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